La Semaine Juridique Social n° 47, 21 Novembre 2006, 1916
Le temps d'inaction au cours de périodes de garde n'est pas un temps de travail effectif pour un pilote d'hélicoptère
Commentaire par Dominique Asquinazi-Bailleux
Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var
Institut de droit social de Toulon
Temps de travail
Sommaire
Le temps d'inaction d'un pilote d'hélicoptère ne constitue pas un temps de travail effectif, auquel doivent seules être assimilées les heures de vol effectuées dans les conditions déterminées par l'article D. 422-10 du Code de l'avion civile.
Cass. soc., 27 sept. 2006, n° 05-40.948, FS-P, SA Proteus hélicoptères c/ Lelièvre : Juris-Data n° 2006-035165
LA COUR – (...)
Sur le moyen unique :
Vu les articles L. 212-1, L. 212-2 et L. 212-4 du Code du travail, ensemble les articles D. 422-1 et D. 422-10 du Code de l'aviation civile ;
• Attendu que M. Lelièvre a été engagé, en qualité de pilote d'hélicoptère, par la société Tecnavia aéronautique, devenue la société Proteus hélicoptères, à compter du 1er janvier 1995 ; qu'il a été licencié le 23 octobre 1998 ; que le salarié a saisi la juridiction prud'homale aux fins d'obtenir la condamnation de l'employeur au paiement de diverses sommes à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires et treizième mois, d'indemnités de congés payés, et d'indemnités pour repos compensateur ;
• Attendu que pour accueillir ces demandes, la cour d'appel a retenu, par motifs propres et adoptés, d'une part que M. Lelièvre était tenu de rester dans les locaux imposés par son employeur, soit sur les bases du Samu ou dans des locaux mis à disposition dans les hôpitaux ou sur le site d'urgence et à proximité immédiate de son lieu de travail, afin de répondre sans délai à toute demande d'intervention, sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles, à raison généralement d'une période de sept jours de garde suivie de sept jours de repos, toute heure de mise à disposition constituant un temps de travail effectif qui devait être rémunéré comme tel ;
• Attendu, cependant, qu'aux termes de l'article D. 422-10 du Code de l'aviation civile, il est admis qu'à la durée du travail effectif prévue à l'article L. 212-1 du Code du travail correspond une durée mensuelle de 75 heures de vol répartie sur l'année, ou une durée mensuelle moyenne de 78 heures de vol répartie sur l'année selon l'option choisie par l'entreprise ;
• Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors que le temps d'inaction ne constitue pas un temps de travail effectif, auquel doivent seules être assimilées les heures de vol effectuées dans les conditions déterminées par l'article D. 422-10 du Code de l'aviation civile, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Par ces motifs :
• Casse et annule (...)
Note :
Aux termes de l'article D. 422-10 du Code de l'aviation civile, dans les conditions actuelles d'exploitation des entreprises, il est admis qu'à la durée de travail effectif prévue par l'article L. 212-1 du Code du travail – soit 35 heures hebdomadaire – correspond une durée mensuelle moyenne de 75 heures de vol répartie sur l'année, ou une durée mensuelle moyenne de 78 heures répartie sur l'année selon l'option choisie par l'entreprise. Autrement dit, la durée de travail effectif d'un pilote d'hélicoptère se calcule à partir du temps de vol tel que défini à l'article D. 422-1 du Code de l'aviation civile.
En l'espèce, un pilote licencié entendait, pour obtenir des heures supplémentaires, faire qualifier de temps de travail effectif le temps où il était tenu de rester soit sur les bases du SAMU, soit dans des locaux mis à disposition dans les hôpitaux ou sites d'urgence pour répondre sans délai à des demandes d'intervention. La cour d'appel avait retenu que ces temps de garde de sept jours suivis de sept jours de repos étaient un temps de travail effectif dans la mesure où ce temps correspondait à la définition du temps de travail effectif de l'article L. 212-4 du Code de travail. La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.
Cette position des juges du fond était conforme à la jurisprudence qui considère que les heures de permanence effectuées par un ambulancier dans les locaux du SAMU à attendre une intervention ne sont ni un temps de repos, ni une astreinte, mais un temps de travail devant être décompté en totalité (Cass. soc., 24 janv. 2001 : Juris-Data n° 2001-008102 ; RJS 2001, n° 453. – Cass. soc., 3 mai 1999 : TPS 1999, comm. 255 ; RJS 1999, n° 820 ; Bull. civ. 1999, V, n° 187 ; D. 1999, inf. rap. p. 160 ; Dr. soc. 1999, p. 730, obs. B. Gauriau ; . – Dans le même sens, à propos d'un chauffeur de taxi médical, Cass. soc., 27 mai 2003 : Juris-Data n° 2003-019197 ; RJS 2003, n° 1085 ; Dr. soc. 2003, p. 1016, obs. Ch. Radé). Plus généralement, les temps de garde, lorsqu'ils sont accomplis dans des locaux imposés par l'entreprise et situés à proximité immédiate du lieu de travail, constituent du temps de travail effectif devant être décompté totalement sauf en cas d'application d'un temps d'équivalence (Cass. soc., 9 mars 1999 : Juris-Data n° 1999-000967 ; RJS 1999, n° 517 ; Bull. civ. 1999, V, n° 104. – V. la jurisprudence citée par O.-L. Bouvier, La notion de temps de travail effectif : évolutions en droit interne et en droit communautaire : RJS 2005, p. 751). Pourtant, bien que la solution retenue par les juges du fond soit conforme à la jurisprudence dominante, leur décision est cassée aux motifs que le temps d'inaction ne constitue pas un temps de travail effectif, auquel seules doivent être assimilées les heures de vol effectuées dans les conditions déterminées par le Code de l'aviation civile. Autrement dit, seuls des temps de vol, pour une durée supérieure à 75 ou 78 heures par mois en moyenne réparties sur l'année, peuvent ouvrir droit au paiement d'heures supplémentaires. Dès lors, se pose la question de la nature juridique du temps d'inaction dans les locaux de l'entreprise à attendre un ordre de décollage.
En visant l'article L. 212-4 du Code du travail, sans précision d'alinéa, la chambre sociale ne renvoie-t-elle pas au régime des équivalences pour ces temps de garde ? Aux termes du dernier alinéa de ce texte, « une durée équivalente à la durée légale peut être instituée dans les professions et pour des emplois déterminés comportant des périodes d'inaction, soit par décret simple après conclusion d'une convention ou d'un accord de branche, soit par décret en Conseil d'État ». Ainsi, dans un régime d'équivalence, par un décompte spécifique des heures de présence, une durée plus élevée que la durée légale est qualifiée d'équivalente avec toutes les conséquences qui s'y attachent, notamment pour le calcul des heures supplémentaires. Sauf usage, convention ou accord collectif plus favorable, la rémunération du salarié n'est pas calculée sur la base de la durée de présence, mais sur la base de la durée de travail effectif à laquelle celle-ci est réputée être équivalente. Or, curieusement, le Code de l'aviation civile n'envisage pas de régime d'équivalence pour les pilotes. En l'absence de décret ou d'accord collectif de branche, il paraît impossible d'assimiler ces heures de garde à des heures de vol.
D'ailleurs, la définition du temps de vol formulée dans l'article D. 422-1 du Code de l'aviation civile s'y oppose,
]En conséquence, force est de constater que si ce temps de garde n'est pas un temps de travail effectif en raison des dispositions du Code de l'aviation civile, il ne fait l'objet d'aucune qualification par la chambre sociale. Ce vide juridique mériterait d'être comblé à un moment où la Cour de justice des Communautés européennes sanctionne le système français des heures d'équivalence (CJCE, 2e ch., 1er déc. 2005, aff. C-14/04, Abdelkader Dellas : JCP S 2006, 1003, note J. Cavallini. – B. Mounier-Bertail et J. Pettex-Sabarot, Les heures d'équivalence : épisode III : JCP S 2006, 1065) et où une proposition de directive, initiée le 22 septembre 2004 (tendant à modifier la directive n° 2003/88 du 4 novembre 2003), envisage de dissocier dans le temps de garde « la période pendant laquelle le travailleur a l'obligation d'être disponible sur son lieu de travail, à la demande de son employeur, afin d'intervenir pour exercer son activité ou ses fonctions » (art. 2, pt 1 bis inséré) de « la période inactive du temps de garde pendant laquelle le travailleur est de garde mais n'est pas appelé à exercer son activité ou ses fonctions » (art. 2, pt 1 ter). Seule la période inactive du temps de garde n'est pas considérée comme du temps de travail, à moins que la loi nationale et/ou une convention collective n'en dispose autrement (art. 2 bis). Cette proposition de directive doit faire l'objet d'un examen en deuxième lecture au Conseil, le 30 novembre 2006.
Au fond, cette décision qui récuse la qualification de temps de travail effectif pour des temps d'inaction au cours de périodes de garde s'inscrit désormais dans l'esprit du futur droit communautaire. Elle est peut être le signe que la chambre sociale n'exclut pas de remettre en cause, à la lumière du droit communautaire, sa jurisprudence sur le temps de garde.
Durée du travail. - Temps de travail effectif. - Périodes de garde. - Temps d'inaction. - Pilote d'hélicoptère
Textes : C. trav., art. L. 212-1 ; art. L. 212-4. – C. aviation, art. D. 422-1 ; art. D. 422-10
Encyclopédies : Travail Traité, Fasc. 21-12, par Michel Morand
Revue de droit des transports n° 7, Juillet 2009, comm. 159
Astreintes et temps de travail des pilotes d'hélicoptère assurant des services d'urgence
Commentaire par Stéphane CARRÉ
HÉLICOPTÈRES
Sommaire
Ainsi qu'en a déjà décidé la Cour de cassation, le Code de l'aviation civile ayant établi une équivalence entre les temps de vol et la durée légale du travail, les astreintes sur le lieu d'exploitation de l'hélicoptère, en attente d'un décollage, n'entrent pas dans la durée du travail effectif (1re esp.). Cependant, l'employeur qui ne démontre pas qu'il était absolument contraint d'organiser le travail du pilote de telle sorte qu'il ne pouvait quitter son poste qu'au bout d'une semaine de garde, et pour un congé de sept jours au plus, impose des restrictions disproportionnées aux libertés individuelles du salarié (2e esp.).
CA Nîmes, ch. soc., 22 juill. 2008, n° 06/04359, SA Proteus Hélicoptères c/ Lelièvre : JurisData n° 2008-376285
(...)
Y. Lelièvre était embauché le 1er janvier 1995 en qualité de pilote d'hélicoptère par la société Tecavia aéronautique devenue la SA Proteus Hélicoptères (...).
Par lettre du 23 octobre 1998, il était licencié pour cause réelle et sérieuse et saisissait alors le conseil de prud'hommes de Carcassonne de demandes de paiement de sommes à titre de rappel de salaire (...).
Sur appel de la SA Proteus Hélicoptères, par arrêt du 15 décembre 2004, la cour d'appel de Montpellier confirmait le jugement déféré (...).
Sur pourvoi formé par la SA Proteus Hélicoptères, par arrêt du 27 septembre 2006, la Cour de cassation cassait et annulait dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu, au visa des articles L. 212-1, L. 212-2 et L. 212-4 du Code du travail, ensemble les articles D. 422-1 et D. 422-10 du Code de l'aviation civile, et renvoyait la cause et les parties devant la cour d'appel de ce siège (...).
Sur les rappels de salaires :
Attendu qu'il résulte des éléments fournis par les parties que la société était bénéficiaire d'un marché émanant d'un hôpital public afin d'organiser un secours d'urgence consistant en une intervention immédiate d'un hélicoptère ; que l'intimé a donc été affecté à cette tâche et il lui a été demandé de rester présent en permanence sur le site de décollage de l'appareil ou à proximité, pendant des gardes 24 heures sur 24 selon un rythme d'une semaine sur deux ;
(...)
Attendu que selon l'article D. 422-10 du Code de l'aviation civile, la durée de travail effective prévue à l'article L. 212-1 du Code du travail correspond à une durée mensuelle moyenne de 75 heures de vol réparties sur l'année, ou une durée mensuelle de 78 heures de vol réparties sur l'année selon l'option choisie par l'entreprise ;
(...)
Attendu qu'il s'agit d'un texte dérogatoire aux règles de droit commun instituées par le Code du travail pour une profession déterminée quant à la durée du travail ; que cette dérogation ne prévoit pas un système d'équivalence du calcul de la durée du travail qui serait applicable aux temps d'inaction comme l'a retenu le jugement ;
(...)
Attendu que, de même, à supposer que l'employeur ait méconnu les dispositions conventionnelles il n'en demeure pas moins :
- que la convention collective invoquée est celle du 13 novembre 1996 du personnel navigant technique des exploitations d'hélicoptères, dont l'arrêté d'extension du 8 septembre 1997 a été publié le 25 septembre 1997, en sorte qu'elle n'est applicable à la relation contractuelle qu'après cette date, (...)
Attendu qu'enfin durant la période litigieuse n'avait plus d'effet la convention collective du personnel navigant technique des entreprises de travail aérien et assimilées du 18 janvier 1984, qui avait été dénoncée, et qui ne comportait aucune disposition sur les temps d'inaction ou de permanence ;
Attendu que dès lors le jugement doit être infirmé de ce chef (...)
Sur le caractère abusif du mode d'organisation :
Attendu que dans ses conclusions M. Lelièvre soutient que :
la présence continue d'un pilote d'hélicoptère auprès de son engin, durant sept jours, dépasse quotidiennement dans d'importantes proportions, les limites où un employeur peut tenir un salarié sous sa subordination (...)
Attendu qu'il convient donc que les parties s'expliquent sur la proportionnalité de la restriction opérée pendant ces deux ans (1995 et 1996) par l'employeur (...)
LA COUR,
Vu l'arrêt de cassation du 27 septembre 2006,
Infirme le jugement et statuant à nouveau, rejette les demandes à titre de rappel de salaire (...),
Pour le surplus,
Ordonne la réouverture des débats,
Invite les parties à s'expliquer, au regard de l'article L. 120-2 du Code du travail, sur le respect de la proportionnalité devant exister entre d'une part le choix de l'organisation obligeant M. Lelièvre à rester en permanence dans un local, sauf heures de vol, (...) d'autre part des justifications pour recourir à ce seul choix (...).
CA Nîmes, ch. soc., 4 nov. 2008, n° 06/04359, SA Proteus Hélicoptères c/ Lelièvre : JurisData n° 2008-376292
(...)
Attendu que la cour a rejeté, dans son arrêt précédent, les demandes à titre de rappel de salaire (...) ;
Attendu que les parties ont été invitées à s'expliquer, au regard de l'article L. 120-2 du Code du travail, sur le respect de la proportionnalité devant exister entre :
* —
d'une part, le choix de l'organisation obligeant M. Lelièvre à rester en permanence dans un local, sauf heures de vol, d'une amplitude hebdomadaire de 168 heures en 1995 et 1996 une semaine sur deux,
* —
d'autre part, des justifications pour recourir à ce seul choix (...)
Attendu que si la société a bien expliqué le choix qui avait été effectué à l'époque en raison des contraintes imposées par les clauses du marché conclu avec l'hôpital public, il en demeure pas moins qu'il fut possible ensuite de trouver d'autres modalités, à l'intérieur de l'entreprise, afin d'adopter une organisation différente ; que dès lors ce choix pour les deux années 1995 et 1996 ne relevait pas d'une contrainte insurmontable ni des circonstances particulières venant le justifier ;
Attendu que, par ailleurs, pendant ces deux années M. Lelièvre a été privé de la possibilité non seulement de vivre une vie personnelle et familiale normale (...) mais aussi de congés pouvant dépasser une semaine ;
Attendu qu'il est donc établi, sur le premier point, une atteinte aux droits individuels de ce salarié (...) ;
Attendu que, sur le second, à savoir la possibilité d'obtenir des congés pouvant excéder une semaine, il est certain que cette impossibilité méconnaît l'interdiction affirmée par l'article 4 de la convention de l'OIT du 4 juin 1936 concernant les congés annuels payés, entrée en vigueur en France le 22 septembre 1939 et applicable selon le point C de l'article 1 aux entreprises de transport de personnes par air ;
Attendu qu'en effet cet article 4 frappe de nullité tout accord sur l'abandon du droit au congé annuel payé (...) ;
Attendu qu'en l'état de toutes ces circonstances, de l'étendue et de l'importance du préjudice subi il convient d'allouer à l'intimé la somme de 10 000 € à titre de dommages intérêts en réparation pour les deux années en cause (...).
Note :
Le présent différend est une affaire aux multiples rebondissements dont les faits remontent à quinze ans, ainsi que le droit applicable. Une mise en perspective est donc nécessaire.
Un pilote d'hélicoptère, M. Lelièvre, employé par la SA Proteus Hélicoptères à compter de janvier 1995, est affecté aux transports sanitaires aériens assurés à partir de l'héliport du centre hospitalier universitaire de Montpellier. Les conditions de travail sont draconiennes. Le pilote commence ses gardes le jeudi et a interdiction de quitter l'hôpital durant sept jours d'affilée (168 heures de présence ininterrompue au travail, y compris les durées de vol). Effectuant notamment des vols pour le SAMU du centre hospitalier, il doit pouvoir décoller à tout moment dans les trois minutes d'un appel d'urgence. Il bénéficie, à longueur d'année, d'un repos de sept jours à la suite de cette période de travail. En 1998, M. Lelièvre est licencié. Il va alors notamment réclamer le paiement de l'ensemble de ses périodes de garde, alors que l'employeur soutient qu'il ne s'agit pas là, en dehors des vols assurés, d'un temps de travail effectif. Le conseil de prud'hommes, en formation de départage et après une expertise, donne tort à l'employeur. La cour d'appel de Montpellier fait de même, mais non pas la chambre sociale de la Cour de cassation.
La juridiction suprême, par une décision a priori surprenante, décide que « aux termes de l'article D. 422-10 du Code de l'aviation civile, il est admis qu'à la durée du travail effectif prévue à l'article L. 212-1 du Code du travail correspond une durée mensuelle de 75 heures de vol répartie sur l'année, ou une durée mensuelle de 78 heures de vol répartie sur l'année selon l'option choisie par l'entreprise ; qu'en statuant comme elle l'a fait, alors que le temps d'inaction ne constitue pas un temps de travail effectif, auquel doivent seules être assimilées les heures de vol effectuées dans les conditions déterminées par l'article D. 422-10 du Code de l'aviation civile, la cour d'appel a violé les textes susvisés » (Cass. soc., 27 sept. 2006 : JurisData n° 2006-035165 ; Bull. civ. 2006, V, n° 291). Dès lors, l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier ayant été cassé, il était fort probable que la cour d'appel de Nîmes, saisie sur renvoi de la cour de cassation, tranche dans le même sens (1re esp.). Il n'y a donc pas lieu de s'attarder sur cette concordance.
Toutefois, la cour d'appel de Nîmes, faisant application de l'article L. 1121-1 du Code du travail (ancien art. L. 120-2) – « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » – juge que l'employeur a commis une faute (2e esp.). En effet, la cour constate que les lourdes sujétions imposées au pilote pour les années 1995 et 1996 ne peuvent être justifiées par les contraintes de l'exploitation puisque l'employeur va trouver, les années suivantes, des solutions différentes entraînant l'allégement des obligations pesant sur le travailleur. Or, cette décision est intéressante en ce qu'elle est un nouvel avatar de l'utilisation de plus en plus courante de la notion de proportionnalité en droit français. Par ailleurs, les juges constatent que l'impossibilité pour le pilote d'obtenir des repos d'une durée supérieure à la semaine contrevient à l'article 4 de la convention OIT du 4 juin 1936 sur les congés annuels payés, applicable en la circonstance.
Mais ces arrêts aboutissent, en matière d'astreintes, à une solution radicalement contraire à la jurisprudence qui décide qu'un salarié dans l'obligation de les effectuer sur son lieu de travail, est nécessairement sur son temps de travail effectif, dès lors qu'il ne peut vaquer à ses occupations personnelles (Cass. soc., 4 mai 199 : DS 1999, 730, obs. Gauriau. – V. également, en milieu hospitalier CJCE, 9 sept. 2003 : DS 2004, 142, note Morel). Et, dans les faits, cette solution apparaît d'autant plus implacable qu'elle ne porte pas sur une astreinte de quelques heures seulement !
Cependant, d'un point de vue juridique, ces décisions s'expliquent par la conjonction de plusieurs éléments qu'il convient de rappeler brièvement. Ainsi que l'indiquent tant la cour d'appel de Nîmes que la Cour de cassation, il y a, à la base, l'application d'une règle spécifique au monde de l'aviation : un mécanisme d'équivalence des temps de travail inversé par rapport aux mécanismes d'équivalence qui régissent la durée du travail de certains routiers ou bateliers. Pour ces derniers, supposés restés inactifs, quoi qu'ils soient au service de leur employeur, il est nécessaire d'assurer un temps de présence supérieur à celle de la durée légale du travail pour atteindre cette durée. Par exemple, il faut être au service de son employeur durant 39 heures pour atteindre la durée légale du travail hebdomadaire (35 heures) : le temps est lent pour ces catégories de travailleurs. Pour le personnel navigant de l'aviation civile, le temps passe vite puisqu'il suffit notamment d'assurer en moyenne 75 heures de vol (qui est défini de façon similaire aux actuels articles L. 422-5 et D. 422-1 du Code de l'aviation civile) pour atteindre le seuil mensuel représentatif de la durée légale du travail (par exemple 169 heures) (C. aviation, art. D. 422-10). Ainsi, le pilote apparaît comme un « suractif », d'autant que le code de l'aviation civile intègre le nombre des étapes, et donc le nombre des décollages et des atterrissages pour réduire encore le nombre nécessaire d'heures de vol pour atteindre la durée légale du travail (C. aviation, art. D. 422-8. – D. n° 2000-1030, 18 oct. 2000, art. 7).
Mais ces règles très spécifiques du monde de l'aviation donne également un autre sens à l'activité professionnelle du pilote car la durée du travail n'est pas indexée sur le temps de présence du salarié au service de l'employeur mais sur le seul temps de vol. Un batelier ou un camionneur n'est pas qu'un conducteur : il charge et il décharge couramment lui-même ce qu'il transporte, il contrôle le déroulement de ces opérations, il remplit des documents commerciaux ou administratifs, et il est alors au travail. Par contre, l'équivalence inscrite à l'article D. 422-10 du Code de l'aviation civile semble ramener toute l'identité professionnelle de l'aviateur à la fonction de pilotage (d'où, peut-être, un temps encore plus « intense » quand il décolle ou se pose). Là est sa gloire, mais également le piège, puisque la loi et les juges ne semblent pas admettre que puisse être comptabilisé le temps passé à répondre aux sujétions annexes au pilotage, à la demande de l'employeur. Il y a là comme la rançon de l'hypertrophie accordée à l'activité de pilotage aux dépens de la notion de travail effectif, qui comprend tous les temps où l'on se trouve à la disposition de l'employeur, prêt à se conformer à ses directives, sans pouvoir vaquer à ses occupations personnelles (C. trav., actuel art. L. 3121-1).
Par ailleurs, à l'époque des faits (1995 à 1997), il est important de noter que le cadre juridique enserrant notamment l'activité professionnelle des pilotes d'hélicoptère s'avère plutôt lâche :
* —
premièrement, le droit communautaire a exclu l'ensemble des travailleurs mobiles de l'application de la directive n° 93/104 du 23 novembre 1993 relative à certains aspects de l'aménagement du temps de travail ;
* —
deuxièmement, la directive sectorielle n° 2000/79/CE du 27 novembre 2000 concernant la mise en oeuvre de l'accord européen relatif à l'aménagement du temps de travail du personnel mobile de l'aviation civile n'existe toujours pas. Or, cet accord européen (clause , annexé à la directive, va poser le principe d'un temps de travail annuel (2 000 heures), comprenant les temps de vol (900 heures) ;
* —
troisièmement, pour diverses raisons qu'indique la cour d'appel de Nîmes, les conventions collectives ne trouvent pas non plus d'application (dénonciation antérieure d'un précédent l'accord, absence d'arrêté d'extension sur un nouvel accord) ;
* —
quatrièmement, les dispositions réglementaires du Code de l'aviation civile concernant la durée du travail du personnel navigant sont anciennes et ne vont connaître une évolution que postérieurement (D. n° 97-999, 29 oct. 1997 : Journal Officiel 31 Octobre 1997) ;
* —
cinquièmement, le Code de l'aviation civile ne connaît pas la notion de « temps de service », qui n'apparaît que plus tard (Ord. n° 2004-691, 12 juill. 2004 : Journal Officiel 14 Juillet 2004), sous l'impulsion de la directive n° 2000/79/CE, ce qui va permettre la prise en compte et la délimitation des temps connexes aux temps de vol.
L'actuel article L. 422-5 du Code de l'aviation civile énonce ainsi que la durée annuelle de temps de service ne peut excéder 2 000 heures, dans lesquelles le temps de vol est limité à 900 heures. On retrouve donc le principe énoncé dans l'accord européen annexé à la directive. Il précise que le temps de service comprend, outre la somme des temps de vol, les temps consacrés aux activités connexes et « certaines fractions, déterminées par décret (...) du temps pendant lequel le salarié est présent sur le site de travail et susceptible à tout moment d'être appelé pour accomplir un vol ou une tâche relevant de son contrat de travail ».
Cependant, malgré tout, les règles du code de l'aviation civile ne peuvent que mal prendre en compte le particularisme qui s'attache à la fonction des pilotes d'hélicoptère effectuant des interventions d'urgence et qui, pour cela, doivent rester à proximité immédiate de l'appareil. De la sorte, l'article L. 422-6 du Code de l'aviation civile (Ord. n° 2004-691, 12 juill. 2004), qui dispose que les navigants doivent bénéficier d'au moins sept jours par mois et d'au moins quatre-vingt seize jours par année civile libres de tout service et de toute astreinte, ne constitue pas une réponse adaptée vis-à-vis de gardes pouvant durer plusieurs jours de suite au lieu d'exploitation de l'hélicoptère, dès lors que seuls les heures de vol sont assimilables à du temps de travail.
C'est donc une législation encore plus particulière, une réglementation de niche, qui apporte une solution idoine, par un retour au mécanisme d'équivalence, tel que l'on peut le rencontrer pour les conducteurs routiers ou dans la batellerie, c'est-à-dire indexé sur le temps de présence et non sur le temps de vol. Il faut d'abord noter l'existence d'un décret n° 94-1047 du 6 décembre 1994 fixant le régime applicable aux personnels navigants du groupement des moyens aériens de la sécurité civile (Journal Officiel 7 Décembre 1994) : son article 22 indique que la durée hebdomadaire du travail est celle des fonctionnaires de l'État, moyennant des aménagements horaires. Il faut encore souligner l'existence de l'annexe II, sur la durée du travail, (accord du 18 juillet 2003) à la convention collective nationale du personnel navigant technique des exploitants d'hélicoptères du 13 novembre 1996 (convention n° 3288). Il faut enfin signaler la présence du décret n° 2003-1390 du 31 décembre 2003 relatif à la durée du travail du personnel navigant technique affecté à la réalisation d'opérations aériennes civiles d'urgence par hélicoptère (Journal Officiel 1er Janvier 2004), évidemment applicables aux pilotes assurant pour les hôpitaux des transports sanitaires.
Ce décret concerne le personnel navigant technique travaillant à temps complet et affecté à des opérations aériennes civiles dont l'urgence rend la programmation impossible (art. 1), en vue d'assurer des transports en relation directe avec des personnes gravement malades ou blessées, avec du personnel médical requis ou pour des fournitures médicales, ou en vue d'assurer des missions d'assistance et de sécurité publique (« veille feu », secours en montagne et en mer...). Dès lors, la durée du temps de service, équivalente à la durée légale prévue à l'article L. 3121-10 du Code du travail (ancien L. 212-1, al. 1) est fixée à quarante-quatre heures par semaine civile (art. 2). Ce temps de service comprend, outre les temps de vol et les temps de préparation au vol ou post-vol, les « temps de permanence ». Ces temps de permanence sont « une période de temps passée sur le site de travail, comportant des périodes d'inaction, au cours de laquelle le membre d'équipage est susceptible d'être appelé pour effectuer un vol » (art. 4).
Hélicoptère. - Service d'urgence. - Temps de vol. - Temps de travail
Textes : Ord. n° 2004-691, 12 juill. 2004. – D. n° 94-1047, 6 déc. 1994. – C. trav., art. L. 1121-1 et L. 3121-10 (anc. art. L. 212-1). – C. aviation, art. D.422-8 et D. 422-10. – Conv. OIT, 4 juin 1936 sur les congés annuels, art. 4
Encyclopédies : Transport, Fasc. 300