Chez Qatar Airways, «tout le monde flique tout le monde»
Posté : vendredi 27 sept. 2013 8:51
Paru ce matin dans Libé :
RECUEILLI PAR CORDÉLIA BONAL 26 SEPTEMBRE 2013 À 17:17
TÉMOIGNAGE Alex (1) est steward chez Qatar Airways depuis deux ans. Il fait partie des travailleurs européens de la compagnie, qui emploie une centaine de nationalités. De Doha, il confirme et décrit la politique de contrôle pratiquée par la compagnie sur ses employés, que dénonce la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF).
«Qatar Airways est connue pour être la compagnie des pays du Golfe qui flique le plus ses employés. Ce qui me choque le plus, c’est qu’ils s’immiscent dans notre vie privée. Si on veut se marier, on doit aller demander la permission à notre manager, c’est écrit dans notre contrat. Sur les flirts entre membres du personnel ils sont plutôts coulants, mais si une hôtesse tombe enceinte, c’est la porte quasi-assurée. L’une de mes collègues, indienne, est tombée enceinte. Elle savait qu’elle risquait de se faire virer, en plus d’être répudiée par sa famille. Elle a dû avorter. Comme l’avortement est interdit au Qatar, il lui a fallu se procurer une pilule abortive depuis New Delhi.
«INTERDICTION DE FUMER, Y COMPRIS SUR NOTRE TEMPS PRIVÉ»
«Il y a un couvre-feu, interdiction de rentrer après trois heures du matin. Nous habitons à Doha, dans des immeubles qui appartiennent à la compagnie, non mixtes bien sûr. Pour rentrer ou sortir, il faut une carte. De telle sorte que la compagnie sait toujours plus ou moins où on se trouve. On a obligation d'être dans les parages douze heures avant un vol. Tout juste si vous pouvez sortir faire trois courses ou une lessive.
«Pendant le mois de formation, on vous explique bien qu’ici on respecte les règles ou c’est la porte. On peut se faire virer du jour au lendemain sans aucun préavis, ni recours possible puisqu’il n’y a évidemment aucun organe de défense du personnel. C’est arrivé à l’un de mes collègues. Il a été pris en photo en train de fumer, un soir, en boîte. On a interdiction de fumer, y compris sur notre temps privé. La photo est arrivée sur le bureau du manager. Le lendemain mon collègue était viré.
«UN PERMIS POUR SORTIR DU TERRITOIRE»
«Ils ont différents moyens de pression. Dans mon cas, pour une histoire de retard à cause d’un problème de transport, j’ai eu interdiction de sortir du territoire pendant six mois, à part pour le travail bien sûr. Impossible de retourner voir ma famille en Europe. Je me suis senti comme un gamin qu'on punit à l'école. Pour toute sortie du territoire pendant nos congés, il faut demander un "exit permit". C’est long (minimum trois jours), fastidieux (tout se fait par formulaire papier) et l’autorisation de sortie n’est pas garantie.
«Il y a une forte culture de la délation, qui s’applique à tous les niveaux de la hiérarchie. Mettons qu’un manager surprenne un employé à téléphoner, alors qu’il est interdit d’avoir un portable sur soi quand on est en uniforme. Si ce manager ferme les yeux mais qu’un autre employé assiste à la scène, ce dernier est incité à dénoncer le manager pour n’avoir pas réagi. Tout le monde flique tout le monde. Ça rend un peu parano, d'ailleurs ! En deux ans ici, il n’y a qu’un seul collègue à qui je fasse réellement confiance.
«Beaucoup des employés de Qatar Airways voudraient travailler dans une autre compagnie, mais ils restent à cause du salaire. Entre 1 700 et 2 200 euros en début de carrière. Comme on est logés, nourris la plupart du temps, et que pour nous le transport est gratuit, on peut mettre de l'argent de côté. Pour les employés asiatiques, les plus nombreux (Indiens, Philippins, Thaïlandais, Chinois...), cet argent fait vivre leur famille. Il recrutent aussi dans les pays européens en crise (Grèce, Espagne, Portugal), en sachant bien que là-bas les gens ont besoin de boulot à tout prix.»
(1) Son prénom a été changé.
Aussi :
Qatar Airways accusée de contrôler la vie privée de ses hôtesses
CORDÉLIA BONAL 25 SEPTEMBRE 2013 À 17:02
La compagnie de Doha imposerait, entre autres, à son personnel féminin de demander son autorisation pour se marier.
Derrière l’uniforme impeccable et le sourire de rigueur, les hôtesses de Qatar Airways, Emirates ou Etihad Airways ont la vie dure. Des salariées sans droits que leur compagnie contrôle jusque dans leur vie privée, à en croire la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF). L'organisation, basée à Londres, entend dénoncer les pratiques de ces compagnies des pays du Golfe, en pleine expansion sur le marché.
«DISSIMULATION DE GROSSESSE»
Selon l’ITF, Qatar Airways impose à son personnel féminin de demander l’autorisation de la compagnie pour se marier. Leur contrat stipule : «Vous êtes tenue de demander l’autorisation de la compagnie dans le cas où vous souhaitez changer de statut marital et vous marier.» De même, les employées doivent «notifier à leur employeur leur grossesse dès le moment où elles en ont elle-même connaissance. L’employeur se réserve le droit de mettre fin au contrat à compter de la date de notification de la grossesse. Toute dissimulation de la grossesse sera considérée comme une rupture de contrat.» L'organisation évoque aussi un couvre-feu imposé aux femmes et un encouragement à la délation entre employés.
Il est d’autant plus difficile pour ces salariés de se défendre qu’il s’agit pour la grande majorité d’étrangers, travaillant grâce à des visas de travail temporaires, souligne l’organisation syndicale. «Bien qu’ils soient essentiels à la bonne marche de la compagnie, ils ne disposent d’aucun des droits élémentaires du travail, y compris le droit d’association ou à une convention collective, qui ont cours dans leurs pays d’origine», dénonce l’ITF. «Ces compagnies font fortune sur le dos d’un personnel à qui l’on demande beaucoup et qui, sans défense, est licenciable à merci», s’indigne son président, Paddy Crumlin.
«LES SYNDICATS RENDENT LES COMPAGNIES SOUS-COMPÉTITIVES»
L'ITF était déjà monté au créneau contre Qatar Airways au printemps, sur le sujet du droit à se syndiquer. Réponse du PDG de la compagnie, Akbar Al Baker, dans une interview au site ArabianBusiness : «Si vous n'aviez pas les syndicats vous n'auriez pas de tels problèmes de chômage en Occident. Les syndicats rendent les compagnies sous-compétitives et ne font que freiner leur productivité.»
Qatar Airways dit employer 28 000 salariés. Sollicitée, la compagnie n’a pas encore commenté mais a fait savoir qu’elle diffuserait prochainement un communiqué. Le Qatar est régulièrement accusé de ne pas respecter les travailleurs étrangers. En témoignait encore récemment l’épisode des quatre Français bloqués dans l’émirat, privés de visa de sortie par leurs employeurs.
sources :
http://www.liberation.fr/economie/2013/ ... picks=true
http://www.liberation.fr/economie/2013/ ... ses_934617
Spoutnick
RECUEILLI PAR CORDÉLIA BONAL 26 SEPTEMBRE 2013 À 17:17
TÉMOIGNAGE Alex (1) est steward chez Qatar Airways depuis deux ans. Il fait partie des travailleurs européens de la compagnie, qui emploie une centaine de nationalités. De Doha, il confirme et décrit la politique de contrôle pratiquée par la compagnie sur ses employés, que dénonce la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF).
«Qatar Airways est connue pour être la compagnie des pays du Golfe qui flique le plus ses employés. Ce qui me choque le plus, c’est qu’ils s’immiscent dans notre vie privée. Si on veut se marier, on doit aller demander la permission à notre manager, c’est écrit dans notre contrat. Sur les flirts entre membres du personnel ils sont plutôts coulants, mais si une hôtesse tombe enceinte, c’est la porte quasi-assurée. L’une de mes collègues, indienne, est tombée enceinte. Elle savait qu’elle risquait de se faire virer, en plus d’être répudiée par sa famille. Elle a dû avorter. Comme l’avortement est interdit au Qatar, il lui a fallu se procurer une pilule abortive depuis New Delhi.
«INTERDICTION DE FUMER, Y COMPRIS SUR NOTRE TEMPS PRIVÉ»
«Il y a un couvre-feu, interdiction de rentrer après trois heures du matin. Nous habitons à Doha, dans des immeubles qui appartiennent à la compagnie, non mixtes bien sûr. Pour rentrer ou sortir, il faut une carte. De telle sorte que la compagnie sait toujours plus ou moins où on se trouve. On a obligation d'être dans les parages douze heures avant un vol. Tout juste si vous pouvez sortir faire trois courses ou une lessive.
«Pendant le mois de formation, on vous explique bien qu’ici on respecte les règles ou c’est la porte. On peut se faire virer du jour au lendemain sans aucun préavis, ni recours possible puisqu’il n’y a évidemment aucun organe de défense du personnel. C’est arrivé à l’un de mes collègues. Il a été pris en photo en train de fumer, un soir, en boîte. On a interdiction de fumer, y compris sur notre temps privé. La photo est arrivée sur le bureau du manager. Le lendemain mon collègue était viré.
«UN PERMIS POUR SORTIR DU TERRITOIRE»
«Ils ont différents moyens de pression. Dans mon cas, pour une histoire de retard à cause d’un problème de transport, j’ai eu interdiction de sortir du territoire pendant six mois, à part pour le travail bien sûr. Impossible de retourner voir ma famille en Europe. Je me suis senti comme un gamin qu'on punit à l'école. Pour toute sortie du territoire pendant nos congés, il faut demander un "exit permit". C’est long (minimum trois jours), fastidieux (tout se fait par formulaire papier) et l’autorisation de sortie n’est pas garantie.
«Il y a une forte culture de la délation, qui s’applique à tous les niveaux de la hiérarchie. Mettons qu’un manager surprenne un employé à téléphoner, alors qu’il est interdit d’avoir un portable sur soi quand on est en uniforme. Si ce manager ferme les yeux mais qu’un autre employé assiste à la scène, ce dernier est incité à dénoncer le manager pour n’avoir pas réagi. Tout le monde flique tout le monde. Ça rend un peu parano, d'ailleurs ! En deux ans ici, il n’y a qu’un seul collègue à qui je fasse réellement confiance.
«Beaucoup des employés de Qatar Airways voudraient travailler dans une autre compagnie, mais ils restent à cause du salaire. Entre 1 700 et 2 200 euros en début de carrière. Comme on est logés, nourris la plupart du temps, et que pour nous le transport est gratuit, on peut mettre de l'argent de côté. Pour les employés asiatiques, les plus nombreux (Indiens, Philippins, Thaïlandais, Chinois...), cet argent fait vivre leur famille. Il recrutent aussi dans les pays européens en crise (Grèce, Espagne, Portugal), en sachant bien que là-bas les gens ont besoin de boulot à tout prix.»
(1) Son prénom a été changé.
Aussi :
Qatar Airways accusée de contrôler la vie privée de ses hôtesses
CORDÉLIA BONAL 25 SEPTEMBRE 2013 À 17:02
La compagnie de Doha imposerait, entre autres, à son personnel féminin de demander son autorisation pour se marier.
Derrière l’uniforme impeccable et le sourire de rigueur, les hôtesses de Qatar Airways, Emirates ou Etihad Airways ont la vie dure. Des salariées sans droits que leur compagnie contrôle jusque dans leur vie privée, à en croire la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF). L'organisation, basée à Londres, entend dénoncer les pratiques de ces compagnies des pays du Golfe, en pleine expansion sur le marché.
«DISSIMULATION DE GROSSESSE»
Selon l’ITF, Qatar Airways impose à son personnel féminin de demander l’autorisation de la compagnie pour se marier. Leur contrat stipule : «Vous êtes tenue de demander l’autorisation de la compagnie dans le cas où vous souhaitez changer de statut marital et vous marier.» De même, les employées doivent «notifier à leur employeur leur grossesse dès le moment où elles en ont elle-même connaissance. L’employeur se réserve le droit de mettre fin au contrat à compter de la date de notification de la grossesse. Toute dissimulation de la grossesse sera considérée comme une rupture de contrat.» L'organisation évoque aussi un couvre-feu imposé aux femmes et un encouragement à la délation entre employés.
Il est d’autant plus difficile pour ces salariés de se défendre qu’il s’agit pour la grande majorité d’étrangers, travaillant grâce à des visas de travail temporaires, souligne l’organisation syndicale. «Bien qu’ils soient essentiels à la bonne marche de la compagnie, ils ne disposent d’aucun des droits élémentaires du travail, y compris le droit d’association ou à une convention collective, qui ont cours dans leurs pays d’origine», dénonce l’ITF. «Ces compagnies font fortune sur le dos d’un personnel à qui l’on demande beaucoup et qui, sans défense, est licenciable à merci», s’indigne son président, Paddy Crumlin.
«LES SYNDICATS RENDENT LES COMPAGNIES SOUS-COMPÉTITIVES»
L'ITF était déjà monté au créneau contre Qatar Airways au printemps, sur le sujet du droit à se syndiquer. Réponse du PDG de la compagnie, Akbar Al Baker, dans une interview au site ArabianBusiness : «Si vous n'aviez pas les syndicats vous n'auriez pas de tels problèmes de chômage en Occident. Les syndicats rendent les compagnies sous-compétitives et ne font que freiner leur productivité.»
Qatar Airways dit employer 28 000 salariés. Sollicitée, la compagnie n’a pas encore commenté mais a fait savoir qu’elle diffuserait prochainement un communiqué. Le Qatar est régulièrement accusé de ne pas respecter les travailleurs étrangers. En témoignait encore récemment l’épisode des quatre Français bloqués dans l’émirat, privés de visa de sortie par leurs employeurs.
sources :
http://www.liberation.fr/economie/2013/ ... picks=true
http://www.liberation.fr/economie/2013/ ... ses_934617
Spoutnick